[ Les Skyblogs - par Jessica ]

Le blog, depuis son apparition la plus vulgarisée - c'est-à-dire la plupart du temps sur skyblog (site avidement exploité par des métalleux haïssant le rap et le r&b) - me fait totalement horreur. Paradoxalement, cela m'a permis l'étude d'un phénomène tout à fait passionnant. En effet, contrairement à ce qu'on pourrait croire, le blog est plein de ressources - qu'il cache très bien je te l'accorde - mettant très bien en valeur le "jeune" comme le dénonçait - avec un brio que je ne tenterai pas d'imiter - Desproges.

En effet, quoi de plus pitoyable - et de plus fascinant! - que cet étalage infini de soi-même! Quelle originalité dans la présentation! Quelle diversité de choix! Il y a en effet plusieurs sortes d'articles possibles que l'on peut diviser en catégories et dont je m'empresse de donner les recettes : La plus évidente, la photo de soi-même. Si possible, marquer "mwa" ou "moi" dans le titre, voire "encore mwa" si c'est le cinquième cliché pris exactement de la même manière. Si on se sent une âme de désespéré ayant essayé plusieurs fois de s'ouvrir les veines avec une cuillère en plastique, sourire tristement et mélancoliquement (mais c'est dur à écrire), le summum restant de se faire des larmes de mascara. Le commentaire accompagnant cette photo doit être très laconique, précisant qu'on se trouve horrible dessus : oui au narcissisme, mais pas à ce que les gens s'en rendent compte! On peut aussi rajouter qu'on nous a obligé à la mettre, ou bien que c'est "un délire" ( que le lecteur moyen ne peut pas comprendre, point qui sera d'ailleurs abordé plus tard), ou encore - comble de la flegme du jeune qui se met en valeur tout en faisant semblant de s'autodétruire - qu'on n'avait rien d'autre à faire.


Deuxième cas possible : la photo des amis. On peut encore une fois figurer sur la photo, le mieux étant d'écrire "moi et untel" dans le titre, et non pas le contraire, parce que la politesse c'est pour les beaufs et que tout de façon ça sonne mieux dans ce sens là. Si possible, dans ce cas là, choisir des photos où on est - ou du moins où on se trouve - superbe, et où les autres sont atroces. Dernier conseil également applicable dans le cas où les amis seraient seuls, puisque, de tout de façon le reste du blog est tellement parsemé de photos de vous qu'il est simple au lecteur moyen de faire la comparaison.

On se trouve alors devant plusieurs choix : soit on a un semblant de goût littéraire qu'on essaye de mettre en valeur et on raconte un tantinet son amitié, avec beaucoup de détails incompréhensibles et inintéressants, soit on se contente de préciser qu'on adore la personne en question, de rigoler (c'est une constante : on rigole beaucoup sur les blogs) et d'agrémenter le tout de quelques smileys censés exprimer toute la profondeur des sentiments qui nous attache à la personne dont nous avons déjà suffisamment parlés d'ailleurs, et revenons à nos moutons c'est-à-dire nous-même.

Le summum : expliquer quand cette photo a été prise, et pourquoi - encore pendant un délire! - et rigoler à ce souvenir. Une alternative : vous pouvez également photographier des objets qui vous rappellent ces êtres chers mais, encore une fois, le commun des mortels ne peut pas le comprendre.

Troisième possibilité : La chaîne "mignonne" copiée tout droit du dernier mail en date qu'on vient de recevoir, sans enlever les "<<<<" qui parsèment le mail en question, l'image ou le texte débile (drôle ou censé faire réfléchir), ou la question engendrant un débat spectaculaire. Dans ce cas là, aucun commentaire n'est nécessaire, à part bien sûr de demander l'avis des autres, pour les pousser à "lâcher des coms". Aucun titre non plus d'ailleurs : la culture et l'intelligence se suffisent à elles-mêmes ; il en est de même pour leurs contraires.


Quatrième possibilité : La fibre artistique. Vous êtes jeunes, vous avez du potentiel, vous voyez le monde à travers vos yeux, et cette vision est spéciale : vos aventures sont uniques. Pour exprimer tout cela, vous écrivez de beaux poèmes langoureux, exprimant souvent vos envies de sauter du trottoir et vos amours déçues : bref vous êtes inconsolables et - à l'instar de Baudelaire ( la référence à Baudelaire est indispensable dans ces cas là, n'hésitez pas à le faire retourner dans son cercueil en disant que L'Ennemi c'est l'autobiographie de votre vie) - vous exprimez cette inconsolabilité de vos plus beaux vers - boiteux - et de vos plus belles fautes d'orthographe.

Si vous n'êtes vraiment pas littéraires, vous pouvez aussi dessiner, peindre, mais, surtout, prendre des photographies. Comme vous n'avez pas beaucoup de modèles et que les nuages et la lune, c'est bien beau, mais ça lasse, vous reviendrez bientôt à la première recette : les photos de soi-même (mais avec une lueur artistique et les fonctions de microsoft photo editor en plus).

Enfin, quelques ingrédients sont indispensables à la bonne réussite d'un blog : Demander, à la fin de chaque article, que les lecteurs donnent leur avis. Par exemple, vous vous trouvez moche, mais eux qu'est-ce qu'ils en pensent? Ou bien, elle se trouve moche, moi non, et vous qu'est ce que vous en pensez? Ou bien, je n'aime pas cette photo que j'ai prise parce que je m'ennuyais, mais vous, qu'est-ce que vous en pensez? La liste peut s'étendre à l'infini. Cependant, je crains que me tournures ne soient trop recherchées : un simple "lâchez vos coms" évite souvent de biens longs discours.

Une orthographe détestable et un vocabulaire tout à fait blogiens sont nécessaires. On ne parle pas de commentaire, mais de "coms". Il ne s'agit pas de photos, mais de "tofs". Surtout, il est utile de préciser, à chaque fois que l'on vous agresse sur votre orthographe déplorable, que vous le faites pour aller plus vite. Ne vous demandez surtout comment écrire "sa" à la place de "ça", ou même de "ca" si atteindre le rang des chiffres est trop fatiguant, peut prendre moins de temps ; surtout, utilisez toujours cet argument, même si vous avez écrit "amour" avec un "e" supplémentaire et qu'on ne voit pas vraiment en quoi cela va plus vite. Surtout, ne faites pas attention à ceux qui vous diront qu'il n'y a pas de raisons d'aller plus vite ou d'économiser de la place puisque tout est gratuit : de tout de façon, vous perdez assez de temps à écrire des lettres de toutes les tailles et de tous les caractères, pour donner un effet de style.


Enfin, n'oubliez pas que l'on doit rire sur un blog, même quand ce n'est pas drôle. Tout est prétexte à un "lol" ou à un "mdr", qui veulent dire que vous vous tapez sur les cuisses derrière votre écran (à propos, lol veut dire "laugh out loud", un peu de culture ne fait pas de mal), alors qu'en fait, vous êtes super concentrés parce que vous savez pas s'il vaut mieux mettre une majuscule ou une minuscule à la quatrième lettre du mot que vous venez d'écrire.

Enfin, n'oubliez pas de parsemer votre blog d'allusion à des choses que seuls vos amis peuvent comprendre - et encore pas tous. Car là se dévoile toute l'utilité d'un blog : c'est une sorte de journal, je ne dirais pas intime, mais "de vie", ou l'on expose ce qui éclaire son quotidien, en particulier dans ses relations avec les autres. Cependant, on ne tient pas à expliquer clairement ses aventures : on se contente d'allusions fines compréhensibles seulement par les gens concernés, excluant ainsi d'avance ceux qui tentent de mieux vous connaître.


Paradoxe superbe, que l'on peut faire ne serait-ce que pour la beauté du geste : ouvrir une porte grande ouverte sur sa vie pour finalement trouver un néant total, profond, et désespérant. Cependant, vous désirez quand même que le plus de gens possible viennent sur votre blog, pour pouvoir ainsi faire partie du palmarès de ceux qui sont le plus visités. Ainsi, des alliances et des trafics souterrains ont lieu, et vous acceptez d’inscrire l’adresse du blog de quelqu’un sur le vôtre si lui promet de faire de même.

Ah et j'oubliais! Certains malotrus s'estiment le droit de vous juger et de lâcher des coms tout à fait désobligeants, où ils expriment un avis contraire au vôtre. Il se trouve que, souvent, leur intelligence est égale à la vôtre et leurs accusations aussi peu fondées que vos poèmes. Certains, cependant, font preuve d'une certaine clairvoyance. Pour les premiers, un traitement simple : votre troupe d'amis s'empressera de sermonner le dissident, à coup de commentaires, et de le détruire, en lui conseillant de partir s'il critique, ou tout simplement, en cas d'insultes ou de menaces, de faire attention à lui. Souvent, on trouve ainsi, sur les blogs, des commentaires qui cachent des disputes de plusieurs pages. Pour les seconds, c'est plus dur : en effet, ils ont raison.

Le plus simple reste de supprimer leur commentaire - car, souvent, les gens viennent rarement en votre aide dans ces cas là et vous ne pouvez pas montrer avec fierté tous vos sauveurs, étant donnés que vous n'en n'avez plus. Cependant, vous pouvez toujours leur dire que, s'ils n'aiment pas, ils n'ont qu'à partir (encore!), puisque, pourquoi regarder quelque chose que l'on n'apprécie pas? Il est vrai que Beaumarchais a dit "Sans liberté de blâmer, il n'y a point d'éloge flatteur", mais, après tout, Beaumarchais par rapport aux blogs, cela ne se compare pas!

Sur ce, je tiens quand même à rajouter que tous les blogs ne sont pas comme cela. A l'origine, certaines personnes très intéressantes en cultivaient, comme ce journaliste atteint d'un cancer. [D’autres désirent juste en faire un pour que leurs amis – et personne d’autre –puissent plus facilement voir des photos qui seraient,sinon, difficiles d’accès. Mais, comme trop souvent dans notre société ou la pudeur et l'intime sont des notions qui ont disparues au profit du public, un moyen de communication qui aurait pu - et qui peut toujours - être intéressant, a été détourné de son droit chemin par ceux qui sont le plus capables de le faire : les jeunes... Ou du moins, ceux-là.

Merci à Jessica pour ce Bien Beau Texte ! Cliquez ici pour Revenir !

[ 4 Janvier 2006 - E-Mail ]