[ Emëhntëhtt-Rê ]



En 1974, Kohntarkosz. En 2004, Kohntarkosz Anteria. Il ne restait plus qu’à enregistrer Ëmëhntëhtt-Ré, dernier mouvement de cette Trilogie. Ainsi, c’est lors du Concert des 35 ans de Magma à l’Olympia en 2005 que Magma annonça que le prochain Album enregistré serait effectivement Ëmëhntëhtt-Ré, et ce soir-là, le groupe joua une partie de ce morceau. Ce morceau était annoncé depuis plus de trente ans…

A l’époque, sur scène, Magma le jouait souvent, mais pas en entier (était-il « fini » à l’époque ?). Cela donnait un enchainement constitué de l’Introduction, Hhaï, et Zombies, puis un solo de batterie (ou « Chorusz ») que l’on retrouve sous le nom de « Ptah » sur d’autres enregistrements. Très peu d’informations circulaient à l’époque sur l’histoire d’Ëmëhntëhtt-Ré. Dans une interview récente, Christian Vander dit que le morceau « Hhaï » raconte le combat d’un homme qui se sait mourant, et qui chante pour lutter contre la maladie. Puisque l’album s’appelle Ëmëhntëhtt-Ré, on peut imaginer qu’ Ëmëhntëhtt-Ré soit cette personne aux prises avec la maladie. Le titre « Zombies » (qui vient juste après Hhaï) donne quant à lui une indication précise sur le devenir peu reluisant d’Ëmëhntëhtt-Ré à la suite de cette maladie. Et quand en 2007 on apprit que la dernière partie du morceau s’appelait « Funerarium Kahnt » (Chant de Funérailles, j'imagine), pas la peine d’être un génie pour deviner que cet album raconte la disparition d’Ëmëhntëhtt-Ré.

Chronologiquement, ce morceau nous raconte ce qui s’est passé AVANT Kohntarkosz Anteria, mais en même temps il nous raconte ce que Kohntarkosz a vu quand il a ouvert le Tombeau. On peut donc légitimement voir ce troisième épisode comme une prequelle inversée, ou un flashback géant...





Pour ceux qui suivent Magma depuis le début, cela faisait plus de trente ans que et album devait être enregistré. En ce qui me concerne, l’attente n’était pas la même, ne connaissant vraiment l’œuvre de Magma que depuis les années 2000. Kohntarkosz Anteria (le premier chapitre de la Trilogie) fut entièrement nouveau pour moi en 2004, tandis que je connaissais déjà la première moitié d’Ëmëhntëhtt-Ré via les morceaux éparpillés sur différents albums, et ce depuis avant les années 2000…

Je suis donc ravi que ce dernier chapitre soit enfin terminé (c’est toujours bon d’écouter un album avec un son propre) mais l’effet de nouveauté n’est pas aussi fort qu’il le fut avec Kohntarkosz Anteria. En effet, quand on connait déjà la première moitié d’un album (au travers des innombrables enregistrements live ou des extraits présents sur d’autres albums) et que cette fameuse première moitié se retrouve amputée des instants de grâce qu’on a appris à connaitre en live, l’appréciation s’en trouve changée. Il faut s’adapter. Il faut accepter le fait que pour recentrer l’œuvre, certaines parties sont passées à la trappe. J’écris ces lignes après avoir écouté Ëmëhntëhtt-Ré cinq ou six fois, déjà, et je commence à m’y faire, peu à peu, avec beaucoup de plaisir. Je pense que cela continuera avec le temps.

Une fois que KA sortir fin 2004, Magma annonça qu’Ëmëhntëhtt-Ré serait la prochaine œuvre à être enregistrée. Le morceau fut donc reconstruit dès 2005 (et présenté encore incomplet lors du Concert à l’Olympia de la même année) tandis que l’enregistrement commença réellement en 2007 (après l’avoir bien rôdé sur scène, comme le groupe a l’habitude de le faire) et s’acheva en 2009.


[ Quelques Dates ]


27 Janvier 2005

Première moitié du morceau remontée à l'Olympia.
12 Mars 2006
Ajout de la partie « Emëhntëhtt-Ré III »
15 Juillet 2006
Arrive de Benoit Alziary (Vibraphone)
15 Janvier 2007
Début de l'enregistrement, à commencer par la rythmique.
3 Février 2007
Ajout de la partie « Emëhntëhtt-Ré IV» et « Funëhrïum Kahnt »
11 Février 2008
Départs d'Emmanuel Borghi (Claviers), Antoine et Himiko Paganotti (Voix)
26 Mars 2008
Arrivée de Bruno Ruder (Claviers) et Hervé Aknin (Voix)
5 Septembre 2009
Enregistrement terminé !

[ Chronique ]


Voilà un album dont il est difficile de parler. Et pourtant, une chose se dessine nettement. Une chose que je ne ressens pas d’habitude en écoutant les autres morceaux « épiques » de Magma : Cet album vous enlace avec ses chœurs, avec ses montées en puissance, avec ses tourbillons de falaises, mais c’est pour mieux vous tirer vers le bas. Nous sommes aspirés dans un tombeau, celui d’Ëmëhntëhtt-Ré, et nous n’en sortirons plus jamais. Du moins jusqu’à ce que ce tombeau soit ouvert par Kohntarkosz, mais Kohntarkosz, c’est « l’épisode » d’avant. Ëmëhntëhtt-Ré conclut cette trilogie en beauté, mais surtout en âpreté , en froideur. Une froideur embrumée d’un Chant Funéraire (« Funërarïum Kahnt ») qui fait vibrer vos os avec sa lente meute de gongs qui s’entassent sur votre dos les uns après les autres.


C’est à ce jour la silhouette qui se dessine dans ma tête après avoir écouté plusieurs fois Ëmëhntëhtt-Ré. Contrairement à un MDK, un Kohntarkosz ou même un KA d’où l’ont sort épuisé de plaisir, ici, je perds pied. Je suis anéanti. Ca se termine « mal », mais d’un « mal » bien plus figuratif que dans les autres morceaux de Magma, qui pourtant ne parlent pas de choses sensiblement plus joyeuses mais qui sont assez évasives pour que l’on puisse y voir de la joie, de la joie dans l’anéantissement, mais de la joie quand même. Dans Ëmëhntëhtt-Ré, c’est différent, et c’est ce qui fait que je l'écouterais peut-être moins que d’autres albums.

Car le Ëmëhntëhtt-Ré final n’est pas vraiment le même que celui que je m’étais habitué à entendre au fil des concerts, sur une période de plus de quatre années passées à écouter différentes versions jouées sur scène. Sur l’album, il y a moins de contrastes, moins (ou plus du tout) de silences, et « Hhaï » a été vidé des solos de guitare et de claviers qui rendaient ce passage Mythique à mes yeux, et le M n’est pas mis ici par hasard. Alors bien sur, en enlevant des passages musicaux qui paraitraient hors-sujet par rapport à l’histoire que prétend figurer l’album, Ëmëhntëhtt-Ré est recentré, et c’est justifié. Mais il est quand même assez dur de ne pas ressentir un manque. Cela passera-t-il avec le temps.


« Ëmëhntëhtt-Ré I » débute par l’introduction que ceux qui suivent Magma connaissent depuis maintenant plus de trente ans. La démultiplication des voix et un vrai son « propre » permettent à présent de saisir l’étendue, l’ampleur, l’envergure d’Ëmëhntëhtt-Ré. Pourtant, dès le début, un détail m’ennuie : auparavant, il n’y avait pas ces paroles dites par Christian Vander entre les trois coups marquant le début du morceau. Cela créait un effet de surprise (ceux qui ne connaissaient pas cette pièce sursautaient, en concert, héhé) et un contraste saisissant, à la limite du pompier, mais tout de même puissant. Du fait de ces paroles insérées entre les trois coups, il n’y a plus de contraste, et les voix arrivent dans une sorte de continuité « tranquille » qui me touche moins que si elles étaient sorties du néant (d’où l’effet de surprise) comme auparavant. Bon, je pinaille, c’est vrai, ce contraste perdu est assez vite oublié par la pureté de ces voix, par les monts et les vallées que dessinent ces voix.

Puis, à la suite de cette ouverture, vient « Rindö », morceau qui figurait déjà dans Attahk, mais qui prend ici une dimension bien à lui, parfaitement dans l’esprit, comme une complainte à propos des événements à venir. Les voix sont belles, la musique aussi, Stella Vander fait littéralement des merveilles (et c’est peu dire). Que dire d’autre, pas grand-chose, et c’est peut-être ça qui m’ennuie. Enfin, pour clore cet « Ëmëhntëhtt-Ré I », un passage que j’appelle « Lien » vient juste après, avec un passage solo chanté par Isabelle Feuillebois de toute beauté, et qui nous amène à…

« Ëmëhntëhtt-Ré II » dans lesquelles les choses sérieuses commencent, avec ce passage où chante Christian Vander, et où le rythme s’emballe peu à peu de bien belle manière, magnifié par un déluge de voix qui ouvre ce que nous connaissons tous sous le nom de « Hhaï ». Ici, comme je l’ai dit plus haut, Hhaï a été raccourci (ou recentré, plus exactement) en enlevant les solos qui rendaient ce passage Mythique avec un grand M.


Ca fait étrange d’entendre ce chœur qui ouvre ce passage sans les multiples applaudissements qui l’accompagnaient traditionnellement. Et c’est avec une certaine déception que l’absence de contraste se fait visible, enfin, audible. Auparavant, dans Hhaï, Christian chantait seul, accompagné du Fender (avec un son qui résonne moins que le piano acoustique de l’album) et de la basse. Du coup, Hhaï démarrait de façon aérienne, Christian déclamant le premier couplet en volant dans le ciel.

Et lors du deuxième couplet, il ajoutait un rythme sur la Charleston, en plaçant des coups sur les cymbales, créant un rythme qui grimpait, grimpait, grimpait en apogée jusqu’à ce qu’il pousse un dernier cri et alors tout explosait, on retombait brutalement au sol, et on était submergé par un délire de notes, jouées par les solos successifs qui ont traversé ce morceau depuis qu’il est joué. Voilà le genre de contraste qui a disparu sur la version album. Ici, de bout en bout, on entend le rythme sur les cymbales et la Charleston. Du coup, tout est « posé », on sait où on va, et pendant tout ce passage où Christian chante, rien ne décolle vraiment, tout est trop posé, et le passage où Benoit Alziary faisait glisser son archer sur son vibraphone a également disparu.

Enfin, Hhaï se termine en enchainant sur un passage bien dansant (« Zombies ») que j’aime beaucoup, et qui se termine par une très belle montée nous ramenant au motif du thème qui ouvre l’album. Puis, nous entrons dans « Ëmëhntëhtt-Ré III», un passage de folie pure où les chœurs sont les plus beaux de tout l’album. Ils s’emmêlent, s’entrechoquent, se répondent, c’est difficile de décrire à quel point ça me touche. Un bémol cependant : l’absence du silence qui ouvre le morceau. Auparavant, il n’y avait pas le petit rythme de la batterie, derrière. Du coup, on sursautait, on ne savait pas trop sur quel pied danser. C’était divin. Là, on est pris par la main. Surprenant de la part de Magma. Bien sur, il faut savoir être objectif : si je réagis comme ça avec ces silences qui ne sont plus là, on peut très bien aimer ces « non-silences » si on ne connait pas les versions antérieures d’Ëmëhntëhtt-Ré. A propos de version antérieure, « Ëmëhntëhtt-Ré III» est déjà connu des aficionados de Magma depuis 1977, j’en reparle plus bas après le plan…

Puis, nous voilà dans « Ëmëhntëhtt-Ré IV », un passage calme, plutôt jazzy, où la voix de Stella Vander illumine un espace devenu plus serein, presque optimiste. Assez court, cet agréable passage est un piège, car la voix se brise net, et nous entrons de plein pied dans « Funërarïum Kahnt », le passage qui (sur scène) clôt le morceau tout entier avec un implacable concert de gongs décorés de chœurs qui poussent une complainte dont on ne revient pas. Si il a déjà été repproché à la fin d’Ëmëhntëhtt-Ré (Ëmëhntëhtt-Ré IV + Funërarïum Kahnt  ) de ne pas en finir de finir, préparez-vous car ce n’est toujours pas fini. Juste après le râle zombiesque, l’album se finit par une très courte déclamation nommée « Sêhë » qui nous renvoie de manière cyclique au texte dit par Christian Vander tout au début de l’album, entre les trois coups.

Et Ëmëhntëhtt-Ré s’achève, dans cette pesante ambiance de mort. MDK s’achevait par un déluge de feu, Kohntarkosz par une explosion galactique, KA par un concert d’Halleluyahs… Ëmëhntëhtt-Ré pourrait presque se terminer par un bruit de lourde porte de pierre qui se referme sur le tombeau du personnage qui donne son nom au morceau. Bien que critique avec cet album, le l’apprécie beaucoup, mais j’espère qu’avec le temps j’y reviendrais avec autant de plaisir que je retourne aux autres morceaux de Magma, car pour l’instant, l’atmosphère suintante de ténèbres qui enveloppe cette œuvre me laisse à certains moments de marbre. Laissons le temps et la lumière passer !


[ Plan ]


Ci-dessous, un plan montrant les morceaux ou passages originaux qui composent Emëhntëhtt-Ré, et juste après, la différence entre les passages qu’on connaissait déjà, et la version de l'album final...




[ Différences ]

Introduction : Cette introduction (que l’on peut retrouver un peu partout sous le nom non-officiel de « Announcement » ) a toujours été la même de 1975 à aujourd’hui. Pour la version album, il y a bien plus de voix qu’à l’origine et bien sur, ce qui frappe d’entrée, c’est le texte dit par Christian Vander, inédit.

Introduction (suite) : Sur le Live de 1975, on peut entendre l’Introduction avec les Chœurs, suivie juste après d’une lente progression hypnotique qui a vite été retirée par la suite. Cette « suite de l’introduction » est un bel exemple de la transformation que subissent les morceaux de Magma au fur et à mesure qu’ils sont joués, avant (et même après) qu’ils soient gravés. Le plus bel exemple en est la fin de Kohntarkosz, qui change du tout entre la version album de 1974, et celle jouée sur scène de 1975 à nos jours.

Rindö : Un morceau figurant à l’origine sur l’album Attahk, et qui ne fut jamais joué en concert (à ma connaissance) jusqu’à ce que Magma entreprenne de remonter Ëmëhntëhtt-Ré (en le jouant de manière incomplète à l’époque) à l’Olympia en 2005. Placé entre l’Introduction et « Extrait N°2 », je me demande si Rindö faisait vraiment partie d’Ëmëhntëhtt-Ré…

Extrait N°2 : Aucune différence par rapport à la version que l'on peut entendre sur la réédition CD d'Udu Wudu si ce n'est ceci : Dans l'extrait figurant sur Udu Wudu, le rythme de batterie est aussi « sautillant » sur sur l’album final, sauf qu’entre temps, quand Magma a remonté Ëmëhntëhtt-Ré, le rythme de batterie était bien plus « rock » comme on peut l’entendre sur le DVD Epok III.


Hhai : Le Mythique passage où les musiciens se déchaînaient pour des solos de folie a été coupé pour recentrer le morceau autour de l’album. Dès que Hhaï fut joué, en 1975, le morceau était déjà un morceau faisant la part belle à l’improvisation, à la furie. On peut entendre des tonnes de version différentes de ces solos sur le Live de 1975, celui de Bobino, le DVD Epok III (ci-contre) etc.

Enfin, vous remarquerez que sur la version album, c’est un piano acoustique que l’on entend, et plus un Fender. Et au lieu d’avoir un contraste intéressant de batterie, sur l’album le rythme est le même du début à la fin. Au final, le morceau de la version album possède bien sur es chœurs sublimes, mais a perdu un peu de ses « tripes »…


Zombies : Par rapport à la version figurant sur Udu Wudu, il y a ici beaucoup plus de pèche ! Chant de Fermeture (Motif Extrait N°1) : Le motif du thème d’introduction est rejoué ici, comme un cycle, pour conclure « Zombies.

Ëmëhntëhtt-Ré III : Ce passage est en fait ce qui suivait le morceau « Zombies » tel qu’il était joué en 1977. Le morceau était mélodiquement le même, mais la batterie y était beaucoup plus présente, donnant au passage un coté plus rock, plus énergique… Les voix étaient en partie les mêmes, sauf qu’après, Christian Vander avait un passage où il chantait, et où il se livrait à une sorte de duel entre lui et le synthétiseur, qui se terminait par la victoire de Christian Vander qui enchaînait alors directement sur « Ptah » (le solo de batterie). Ecoutez par vous-mêmes ce passage en cliquant sur l’image de zombie ci-contre.

Chant de Fermeture (Motif Extrait N°1) : Le motif du thème d’introduction est rejoué ici, comme un cycle, pour conclure « Ëmëhntëhtt-Ré III ».

Ëmëhntëhtt-Ré IV : Ce thème fut rajouté dès mars 2006. Rien a signaler si ce n’est qu’avant, la guitare électrique jouait le motif de Kohntarkosz (02:44 sur l’album) puis le motif en « spirale » alors que là ça commence différemment puis ça embraye vers le motif de la spirale directement. Fini les cinq notes du fameux « Doweri » du début de Kohntarkosz…

Funerarium Kahnt : Ce thème fut joué sur scène dès février 2007, mais ce n’est que dès février 2009 que Christian Vander rajouté ce râle zombiesque tout à la fin.

Sêhë : Inédit, et jamais joué sur scène.


[ Texte de Bruno Heuzé dans le Livret ]






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