Je monte dans le Bus, et m’assoie en face d’un type super étrange. Rien que son regard, c’est un Extra-Terrestre perdu qui cherche son Vaisseau-Mère. Obligé. Il a un Haut de Costume ignoble, gris à carreaux, un peu le même que celui que porte Thierry Lhermitte dans « Le Père Noël est une Ordure ». Un Costume qui dit « Je n’ai rien trouvé d’autre, mais je veux paraître sérieux ». Et il avait l’air sérieux, le bougre. Un Pantalon sombre, avec des chaussettes bleue marine également sombres, et des mocassins encore plus sombres dignes d’une fausse pub de Les Nuls. En fait, ce qui m’a frappé, et en fait les vêtements ont renforcé cet effet de façon atroce, c’est son regard. Je pense que c’était un handicapé mental. Ou alors...

Peut-être pas. Après tout, tous les Types en Costumes Gris ont plus ou moins l’air flasques ou handicapés de l’émotion, une fois dans un Bus, loin de la Mercedes. Un regard absolument vide, avec de la peur, de l’appréhension. Des yeux immenses derrière ses lunettes incroyables. Sorties d’un Message A Caractère Informatif. Obligé.

Ce genre de lunettes carrées rectangulaires, en rouge bordeaux transparent, couvrant toute la zone de yeux, et même plus loin encore. Ignoble. Nous avons donc le Costume, les Lunettes, et rien que ça, ça fout les chocottes. Mais il y a autre chose. Le visage, le visage de la terreur absolue, j’avais l’impression que ce type s’était trompé de ligne, mais n’osait pas descendre du Bus, n’osait pas demander son chemin.

Je comprend cette réaction. L’Homme avait un front immense, c’était la réplique version humaine d’un personnage d’Hergé dans Tintin, le Bonhomme à la Fin de Vol 714 pour Sidney… un Extra-Terrestre !!! Un front qui aurait pu servir de Piste d’Atterrissage, comme le mien. En plus, on est pas loin d’Orly, peut-être qu’il le louait, son front. J’ai évité de croiser son regard, j’avais peur qu’il m’aspire. En fait, il avait tout le temps la bouche ouverte, impressionnante. Immensément ouverte, large, profonde, mais on ne voyait que quelques dents. C’est pour ça que je pense qu’il devait être un peu retardé. Sa bouche en O semblait dire de façon continue « Où suis-je, où suis-je, où suis-je… » Mort de Trouille ! C’était triste en fait, mais ce type m’a hypnotisé, j’étais cloué, j’en oubliais même de faire semblant de jouer le Piano qui passait dans mon Walkman. Je pianote sur mes genoux, d'habitude. Mais là, non, j’étais absorbé.

La bouche ouverte, le front gigantesque, le costume imperturbable de sérieux maladroit, mais ce n’était pas tout. Ce type avait quelque chose. Sa main gauche semblait tenir un objet invisible, comme une canne. Il avait vraiment la main en position de tenir quelque chose. Je suis sur qu’il tenait une canne invisible, ou un pistolet laser pour dégommer les Policiers qui voudraient l’empêcher de rejoindre son Vaisseau-Mère. Un objet de grand valeur en tout cas, puisqu’à un moment, le Bus a freiné brusquement, et l’Homme s’est accroché de la main droite à une barre, mais sa main gauche est restée exactement dans la même position. Elle n'a pas bougé un cil !




A un moment, il a changé de place, la même, exactement symétrique, à bâbord. J’aime bien penser qu’un Bus est comme un Bateau, sans les voiles, mais avec des Routes, et des Contrôleurs pas Aimables pour trois kopecks, visiblement malheureux de souler les gens toute la journée avec une seule phrase en tête « Bonjour Monsieur, votre Titre de Transport s’il vous plait ». Répéter ça toute la journée, c’est inhumain.

Une fois, j’attendais le Bus, et des Contrôleurs attendaient, comme moi. L’un deux, moustachu (la moustache est importante pour la suite) commençait à causer de sa Femme. « Hier je l'ai encore frappé, mais là, elle l’avait vraiment cherché ». Et son Abruti de Collègue de répondre par un poussif « Et oui… » Les Moustachus sont des gens étranges. Définitivement. Donc, je disais, le Bonhomme a changé de place. Il a trouvé un Journal sur le siège en face de lui, a commencé à bouquiner, et je ne l’ai plus jamais revu. La bouche ouverte, le regard tremblant derrière ses grandes lunettes datant des 30 Glorieuses.


[ 29 Decembre 2003 - E-Mail ]