Il était 17h05. Je me dirigeai vers l’Arrêt de Bus. Et puis, vu les nuages, vu le vent, vu tout ce qui commençait à se mettre en place, je me suis dis que rentrer à pinces me ferait du bien, et puis 15 Minutes de trotte, ça ne me dérange pas, pourvu qu’il se passe des choses extraordinaires sur le trajet. Et puis non, ce n’est pas en attendant qu’une chose se produise qu’elle arrive, c’est souvent par hasard qu’on assiste à des évènements merveilleux. Et là, tout laissait entendre que je ne serais pas déçu. Je me disais « on verra bien, de toute façon la marche à pied, j’aimes ça, alors rentrons à pinces ». J’ai attendu le Bus très exactement 2 secondes avant de finalement décider de rentrer à pied.

A l’Arrêt de Bus, il y avait 2 filles très bruyantes, probablement pas très malines au vu de leur discussion (mecs, télé, mecs, télé, 2 secondes mon portable sonne, ça y est c’est bon, mecs, télé, mecs, télé). C’est rigolo non, cette manie de parler très fort de choses vraiment pas intéressantes, juste pour se faire remarquer ? Les gens qui font ça ont sûrement un complexe, personne ne les écoute, on les a frustré, alors ils parlent fort pour faire chier le monde. Ou alors c’est une habitude qu’ils ont prise, peut-être que jamais personne ne leur a dit que le respect ça commence par le silence.

Ca me vient tout à coup : différentes manières de ne pas respecter les gens : parler fort, mettre sa sonnerie de portable très fort (et la plus irritante possible sinon ça ne compte pas) pour montrer qu’on a des amis (ça rassure), mettre le son du walkman à fond, pour « montrer » ce qu’on écoute (« J’écoute du Rap, donc je suis un Rebelle »), tout comme on montre qui on est avec ses vêtements (grosse marque écrite devant et derrière, signes de richesses, chaussures, casquettes à l’envers etc). Une fois j’ai regardé droit dans les yeux pendant un bon moment un garçon qui écoutait son walkman très fort, pendant que j’essayais de comprendre pourquoi Frodon avait un balais aussi immense fiché dans son derrière. Je lisais, je le regardais, lisais, le regardait. Il a fini par baisser le son de son walkman. Gagné.




A pied, on ne se coltine pas des gens qui parlent fort, ou qui mettent leur walkman à fond. A la place, on a d’autres sons beaucoup plus intéressants, et même qu’en empruntant les bonnes rues, où aucune voiture ne passe, on entend le silence, avec au loin un avion ou un crissement de pneus. Le temps commençait à se gâter. Pleins de grands nuages gris plus ou moins sombres flottaient en haut. On les voyait bouger rapidement, là haut ça devait barder, alors qu’ici, on sentait à peine une petite brise, pas de quoi s’affoler, je ne serais pas trempé en arrivant chez moi. Des grands peupliers grincent, des sapins couinent, j’entends des bruits sourds qui viennent d’en haut, l’orage répète. C’est pour bientôt. Quelques gouttes.

C’est la fin de la journée, le début du week-end pour pleins de gens. Tout le monde est crevé, fatigué, et je me mets à penser connement que même le Ciel est fatigué, il a été Bleu toute la journée, il a bien travaillé, il a été sympa, maintenant il se laisse aller, il éternue, il baille, et il se laisse tomber sur nous avec un bon petit orage comme je les aime. Le vent dans les branches, le manteau qui bouge dans tous les sens.

Je passe devant un square, désert. La luminosité est étrange, entre chien et loup, elle me perturbe, car on ne pourrait vraiment pas dire quelle heure il est. Pas le matin, il fait trop bon, pas midi, pas le soir, c’est juste qu’il n’y a personne, et c’est un temps « sans heure ». Je passe devant la Résidence du Capricorne. Mon frère a sa résidence. Et même pas de Résidence du Bélier dans ma Ville, j’enrage ! Et oui, quand on a 8ans, c’est très important, de savoir dans quelle Résidence habite le Chevalier du Bélier. Quelques gouttes.




La Mairie a fait refaire les Buissons devant la Résidence du Capricorne. Ils ont coupé les Troels, mais alors pas coupés, « tranché » serait un mot plus juste. Ils ne sont plus du tout touffus, on ne voit que les petits troncs blancs à la fin, avec quelques feuilles autour pour faire joli. C’est beaucoup moins amusant, car déjà, ça n’est plus la bonne hauteur pour passer sa main dessus, et faire comme si sa main était la Moto-Jet de Luke Skywalker qui poursuit les Soldats Blanchâtres de l’Empire, il va se planter contre un Tronc vu qu’ils ont tout coupé. Plus loin, heureusement, la Mairie n’a pas touché aux autres Buissons, je ne sais pas quel nom ça a, c’est comme des Troels, mais avec des épines. Les Fruits du Troel sont Noirs, ceux du Buisson Epineux sont Oranges quand ils sont jeunes, et Rouges quand ils sont mûrs. A l’intérieur, c’est blanc. L’intérieur de ceux des Troels sont verts. Quand je vous disais qu’il se passe des choses merveilleuses quand on rentre à pied !

Quelqu’un a installé un carillon sur son balcon. Avec le vent, c’est magnifique, de rentrer chez soi, et de passer devant en entendant ce tintement. Plus loin, après le carrefour, on arrive dans une zone avec pleins de maisons. Certaines sont très sinistres. Barrières en bois dont la peinture s’écaille depuis des lustres, vertes dessus, émeraude en-dessous. Le lierre bouffe tout, ce qui était avant un pilier de béton ressemble à un arbuste. Si une voiture se plante dedans, ça va faire du bruit. Des maisons avec des volets fermés, charnières rouillées, et même une toute petite bicoque en bois qui a raté son rendez-vous avec le cyclone du Magicien d’Oz. C’est pas ici qu’elle risque de s’envoyer en l’air, il ne se passe jamais rien par ici. C’est justement ce que j’aime. Ces baraques sont là depuis toujours, je n’ai jamais vu qui habitait dedans, jamais vu une voiture sortir par le portail pourri.

Une maison qui craque avec le vent. Une autre maison a une porte très sombre, en verre, mais comme si à l’intérieur la lumière n’entrait pas. Chocottes. Dans cette avenue, à ma connaissance, sur les 30 ou 40 maisons, je n’ai vu que deux fois une personne sortir d’une de ces maisons. C’est fou, non ? Ces maisons sont-elles habitées ? Est-ce que des fois des gens en sortent ? Plus loin, une voiture a fait l’amour avec un plot en béton, du coup, le plot est de traviol, la chaussée est détruite, et on voit sous la route. Une fine couche de goudron, et dessous… la terre. De la terre toute bête. Le plot n’a aucune égratignure, par contre la voiture a du danser.




Je croise une dame, sûrement la quarantaine. Elle porte des Chaussures Rouges qui brillent, comme celles de Dorothy dans le Magicien d’Oz. Le vent se lève. Peut-être que la Sorcière de l’Ouest veut les récupérer. Plus loin, des petits cons. Ils sont trois, parlent très fort, et s’amusent à casser tout ce qui passe à leur portée, parce que bien sur, eux, ils sont intelligents, et les autres, c’est rien. Se faire remarquer, se faire remarquer, se faire remarquer, voilà une attitude étrange. Je les double, vu leur lenteur (les bienfaits des joggings portés très en dessous de la ceinture, pardon, du caleçon) et continues mon chemin, toujours un sourire débile fiché sur mon visage, puisque tout ce que je vois autour de moi nourrit mon imagination. Et puis j’aime ce temps « avant » l’orage. Encore quelques gouttes.

Une goutte d’eau tombe sur mes lunettes. Elle est bien placée, si je me débrouille bien, quand je regarde quelqu’un, je peux faire en sorte que la goutte soit positionnée exactement sur sa tête, du coup, tout le monde a une tête « floue », c’est beau non ? Evidemment, ça me fait une tête de con, avec un œil fermé quand je passe devant des gens. Plus loin, la Pyramide Grise. En fait, c’est une grange, mais par le chemin ou je passe, de loin, on dirait une Pyramide. Et plus on s’en approche, moins c’est drôle, évidemment.

J’entre dans ma résidence. Au loin, je vois une fille qui marche, et semble parler toute seule. Ah non, en fait elle paraît à son kit mains libres. Ca ne change rien à l’histoire, on dirait une folle qui déclame des lieux communs à tours de bras, et vu que ses deux bras sont libres, ça en fait, des poncifs. Des gros poncifs bien lourds, qu’on peut justement transporter avec ses deux bras. C’est étrange, une silhouette noire au loin qui raconte sa vie dans le vent, tout haut. En tout cas, ça me fait une belle fin pour ce petit voyage à pieds. Je rentre chez moi, il est 17h30.


[ 23 Mars 2004 - E-Mail ]